2.2.3 Les différents sens de l’Ecriture

Nous pouvons lire ce qui suit dans la partie « Introduction » page XVII – XVIII du document intitulé « L’interprétation de la Bible dans l’Eglise », sous forme de synthèse de ce qui se trouve plus avant dans le corps du texte duquel j’emprunterai toutefois quelques « passages complémentaires » en précisant les références des pages :

1° - Le sens littéral

« C’est le sens exprimé directement par les auteurs humains inspirés, qui n’est pas toujours unique. L’auteur humain peut vouloir se référer en même temps à plusieurs niveaux de réalité, c’est par exemple le cas de la poésie. Beaucoup de textes ont un aspect dynamique, l’exégèse cherchera à préciser la direction de pensée. Les psaumes royaux, par exemple, viseraient un roi historique, puis le Messie (c’est l’aspect dynamique du texte).
Un texte écrit, dans de nouveaux contextes, s’ouvre à des sens nouveaux, c’est le cas des « relectures » que l’exégèse découvre dans la Bible elle-même. Le sens littéral est le sens initial et sert de garde-fou
 ».

« Passages complémentaires », pages 70 à 72 :

« Il est non seulement légitime, mais indispensable de chercher à définir le sens précis des textes tels qu’ils ont été produits par leurs auteurs, sens qu’on appelle « littéral ».
Déjà Saint Thomas d’Aquin en affirmait l’importance fondamentale (S. Th I, q.1, a. 10, ad 1).
Le sens littéral n’est pas à confondre avec le sens « littéraliste » auquel s’attachent les fondamentalistes. Il ne suffit pas de traduire un texte mot à mot pour obtenir son sens littéral. Il faut le comprendre selon les conventions littéraires du temps. Quand un texte est métaphorique, son sens littéral n’est pas celui qui résulte immédiatement du mot à mot (par exemple : "Ayez le ceinture aux reins", Lc 12,35), mais celui qui correspond à l’emploi métaphoriques des termes ("ayez une attitude de disponibilité").
Quand il s’agit d’un récit, le sens littéral ne comporte pas nécessairement l’affirmation que les faits racontés se sont effectivement produits, car un récit peut ne pas appartenir au genre historique, mais être une œuvre d’imagination […].   

[Enfin] Le sens littéral est, dès le début, ouvert à des développements ultérieurs, qui se produisent grâce à des "relectures" en des contextes nouveaux.
Il ne s’ensuit pas qu’on puisse attribuer à un texte biblique n’importe quel sens, en l’interprétant de façon subjective. Il faut au contraire, rejeter comme inauthentique toute interprétation qui serait hétérogène au sens exprimé par les auteurs humains dans leur texte écrit. Admettre des sens hétérogènes équivaudrait à couper le message biblique de sa racine, qui est la Parole de Dieu communiquée historiquement, et à ouvrir la porte à un subjectivisme incontrôlable
 ».

2° - Le sens spirituel

« C’est le sens exprimé par les textes bibliques lorsqu’on les lit sous l’influence de l’Esprit Saint, dans le contexte pascal du Christ. La vie dans l’Esprit constitue un nouveau contexte.
Le sens spirituel accomplit le sens littéral. Il peut avoir un aspect typologique, par exemple Adam est la figure du Christ. Le sens spirituel est le sens chrétien
 ».

« Passages complémentaires », pages 72 à 74 :

« Il y a lieu, cependant, de ne pas prendre « hétérogène » en un sens étroit, contraire à toute possibilité d’accomplissement supérieur. L’évènement pascal, mort et résurrection de Jésus, a mis en place un contexte historique radicalement nouveau, qui éclaire de façon nouvelle les textes anciens et leur fait subir une mutation de sens. En particulier, certains textes qui, dans les circonstances anciennes, devaient être considérés comme des hyperboles (par exemple l’oracle où Dieu, parlant d’un fils de David, promettait d’affermir « pour toujours » son trône, 2 S 7,12-13 ; 1 Ch 17,11-14), ces textes doivent désormais être pris à la lettre parce que « le Christ, étant ressuscité des morts, ne meurt plus » (Rm 6,9). Les exégètes qui ont une notion étroite, « historiciste », du sens littéral estimeront qu’il y a ici hétérogénéité. Ceux qui sont ouverts à l’aspect dynamique des textes reconnaîtront une continuité profonde en même temps qu’un passage à un niveau différent : le Christ règne pour toujours, mais non sur le trône terrestre de David (Cf. aussi Ps 2,7-8 ; 110,1.4).
Dans les cas de ce genre, on parle de « sens spirituel ». En règle générale, on peut définir le sens spirituel, compris selon la foi chrétienne, comme le sens exprimé par les textes bibliques, lorsqu’on les fit sous l’influence de l’Esprit Saint dans le contexte du mystère pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte. Ce contexte existe effectivement. Le Nouveau Testament y reconnaît l’accomplissement des écritures. Il est donc normal de relire les écritures à la lumière de ce nouveau contexte, qui est celui de la vie dans l’Esprit. De la définition donnée on peut tirer plusieurs précisions utiles entre sens spirituel et sens littéral :
Contrairement à une opinion courante, il n’y a pas nécessairement distinction entre ces deux sens. Lorsqu’un texte biblique se rapporte directement au mystère pascal du Christ ou à la vie nouvelle qui en résulte, son sens littéral est un sens spirituel. Tel est le cas habituel dans le Nouveau Testament. Il s’ensuit que c’est à propos de l’Ancien Testament que l’exégèse chrétienne parle le plus souvent de sens spirituel. Mais déjà dans l’Ancien Testament, les textes ont en bien des cas comme sens littéral un sens religieux et spirituel. La foi chrétienne y reconnaît un rapport anticipé avec la vie nouvelle apportée par le Christ. Lorsqu’il y a distinction, le sens spirituel ne peut jamais être privé de rapports avec le sens littéral. Celui-ci reste la base indispensable. Autrement, on ne pourrait pas parler d’accomplissement" de l’Écriture. Pour qu’il y ait accomplissement, en effet, un rapport de continuité et de conformité est essentiel. Mais il faut aussi qu’il y ait passage à un niveau supérieur de réalité.
Le sens spirituel n’est pas à confondre avec les interprétations subjectives dictées par l’imagination ou la spéculation intellectuelle. Il résulte de la mise en rapport du texte avec des données réelles qui ne lui sont pas étrangères, l’évènement pascal et sa fécondité inépuisable, qui constituent le sommet de l’intervention divine dans l’histoire d’Israël, au profit de l’humanité entière.
La lecture spirituelle, faite en communauté ou individuellement, ne découvre un sens spirituel authentique que si elle se maintient dans ces perspectives. Il y a alors mise en rapport de trois niveaux de réalité : le texte biblique, le mystère pascal et les circonstances présentes de vie dans l’Esprit.
Persuadée que le mystère du Christ donne la clé d’interprétation de toutes les Écritures, l’exégèse ancienne s’est efforcée de trouver un sens spirituel dans les moindres détails des textes bibliques, - par exemple, dans chaque prescription des lois rituelles, - en se servant de méthodes rabbiniques ou en s’inspirant de l’allégorisme hellénistique. L’exégèse moderne ne peut accorder une vraie valeur d’interprétation à ce genre de tentatives, quelle qu’ait pu être, dans le passé, leur utilité pastorale (Cf. Divino Afflante Spiritu, EB 553).
Un des aspects possibles du sens spirituel est l’aspect typologique, dont on dit habituellement qu’il appartient non pas à l’écriture elle-même, mais aux réalités exprimées par l’écriture : Adam figure du Christ (Cf. Rm 5,14), le déluge figure du baptême (1 P 3,20-21), etc. En fait, le rapport de typologie est ordinairement basé sur la façon dont l’écriture décrit la réalité ancienne (Cf. la voix d’Abel : Gn 4,10 ; He 11,4 ; 12,24) et non pas simplement sur cette réalité. En conséquence, il s’agit bien alors d’un sens de l’écriture.

3° - Le sens plénier

« C’est le sens profond du texte voulu par Dieu, mais non clairement exprimé par l’auteur humain. On contrôle la légitimité de ce sens par un autre texte biblique ou par une tradition doctrinale authentique, telle celle d’un concile ».

« Passages complémentaires », pages 75 à 76 :

« On en découvre l’existence dans un texte biblique, lorsqu’on étudie celui-ci à la lumière d’autres textes bibliques qui l’utilisent ou dans son rapport avec le développement interne de la révélation.
Il s’agit donc, ou bien de la signification qu’un auteur biblique attribue à un texte biblique qui lui est antérieur, lorsqu’il le reprend dans un contexte qui lui confère un sens littéral nouveau, ou bien de la signification qu’une tradition doctrinale authentique ou une définition conciliaire donne à un texte de la Bible. Par exemple, le contexte de Mt 1,23 donne un sens plénier à l’oracle d’Is 7,14 sur la almah qui concevra, en utilisant la traduction de la Septante (parthenos) : « La vierge concevra ». L’enseignement patristique et conciliaire sur la Trinité exprime le sens plénier de l’enseignement du Nouveau Testament sur Dieu le Père, le Fils et l’Esprit. La définition du péché originel par le Concile de Trente fournit le sens plénier de l’enseignement de Paul en Rm 5,12-21 au sujet des conséquences du péché d’Adam pour l’humanité. Mais lorsque manque un contrôle de ce genre - par un texte biblique explicite ou par une tradition doctrinale authentique, - le recours à un prétendu sens plénier pourrait conduire à des interprétations subjectives dépourvues de toute validité.
En définitive, on pourrait considérer le « sens plénier » comme une autre façon de désigner le sens spirituel d’un texte biblique, dans le cas où le sens spirituel se distingue du sens littéral
. Son fondement est le fait que l’Esprit Saint, auteur principal de la Bible, peut guider l’auteur humain dans le choix de ses expressions de telle façon que celles-ci expriment une vérité dont il ne perçoit pas toute la profondeur. Celle-ci est plus complètement révélée dans la suite des temps, grâce, d’une part, à des réalisations divines ultérieures qui manifestent mieux la portée des textes et grâce aussi, d’autre part, à l’insertion des textes dans le canon des Écritures. Ainsi est constitué un nouveau contexte, qui fait apparaître des potentialités de sens que le contexte primitif laissait dans l’obscurité ».