2.3.6 Le charisme de prophétie

2.3.6.1 Fondement biblique

Ep 4,7-16 :

« 7 Cependant chacun de nous a reçu sa part de la faveur divine selon que le Christ a mesuré ses dons. 8 C'est pourquoi l'on dit : Montant dans les hauteurs il a emmené des captifs, il a donné des dons aux hommes. 9 "Il est monté", qu'est-ce à dire, sinon qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre ? 10 Et celui qui est descendu, c'est le même qui est aussi monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses. 11 C'est lui encore qui "a donné" aux uns d'être apôtres, à d'autres d'être prophètes, ou encore évangélistes, ou bien pasteurs et docteurs,12 organisant ainsi les saints pour l'œuvre du ministère, en vue de la construction du Corps du Christ, 13 au terme de laquelle nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer cet Homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ ».

1 Co 14, 1-5 :

« 1 Recherchez la charité ; aspirez aussi aux dons spirituels, surtout à celui de prophétie. 2 Car celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu ; personne en effet ne comprend : il dit en esprit des choses mystérieuses.  3 Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes ; il édifie, exhorte, réconforte.  4 Celui qui parle en langue s'édifie lui-même, celui qui prophétise édifie l'assemblée.  5 Je voudrais, certes, que vous parliez tous en langues, mais plus encore que vous prophétisiez ; car celui qui prophétise l'emporte sur celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n'interprète, pour que l'assemblée en tire édification ».

1 Co 14, 29-33 :

« 29 Pour les prophètes, qu'il y en ait deux ou trois à parler, et que les autres jugent. 30 Si un autre qui est assis a une révélation, que le premier se taise. 31 Car vous pouvez tous prophétiser à tour de rôle, pour que tous soient instruits et tous exhortés. 32 Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes ; 33 car Dieu n'est pas un Dieu de désordre, mais de paix ».

2.3.6.2 Catéchisme de l’Eglise Catholique

Voici les principaux paragraphes du Catéchisme de l’Eglise Catholique concernant les charismes suscités par l’Esprit-Saint pour l’édification de tous les membres de l’Eglise :

§ 799 : « Extraordinaires ou simples et humbles, les charismes sont des grâces de l’Esprit Saint qui ont, directement ou indirectement, une utilité ecclésiale, ordonnés qu’ils sont à l’édification de l’Église, au bien des hommes et aux besoins du monde ».

§ 800 : « Les charismes sont à accueillir avec reconnaissance par celui qui les reçoit, mais aussi par tous les membres de l’Église. Ils sont, en effet, une merveilleuse richesse de grâce pour la vitalité apostolique et pour la sainteté de tout le Corps du Christ ; pourvu cependant qu’il s’agisse de dons qui proviennent véritablement de l’Esprit Saint et qu’ils soient exercés de façon pleinement conforme aux impulsions authentiques de ce même Esprit, c’est-à-dire selon la charité, vraie mesure des charismes (Cf. 1 Co 13) ».

§ 801 : « C’est dans ce sens qu’apparaît toujours nécessaire le discernement des charismes. Aucun charisme ne dispense de la référence et de la soumission aux Pasteurs de l’Église. "C’est à eux qu’il convient spécialement, non pas d’éteindre l’Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon" (LG 12), afin que tous les charismes coopèrent, dans leur diversité et leur complémentarité, au " bien commun " (1 Co 12,7) (Cf. LG 30 ; CL 24) ».

2.3.6.3 Les textes du Concile Vatican II

Voici le § 3 du décret sur l’Apostolat des laïcs « Apostolicam Actuositatem » du Concile Vatican II, intitulé « Fondements de l’apostolat des laïcs ».

Il concerne directement l’instauration du Règne du Christ par l’apostolat des laïcs qui ont le « devoir et le droit d’être apôtres » par l’exercice de la charité « âme de tout apostolat ».
« Pour l'exercice de cet apostolat, le Saint-Esprit accorde en outre aux fidèles des dons particuliers, en les répartissant à chacun comme il l'entend » en vue de l’édification du Corps Mystique du Christ qu’est l’Eglise. C’est au pasteur de vérifier l’authenticité de ces dons, en observant toutefois le précepte de l’Ecriture visant à ne pas « éteindre l'Esprit, mais  tout éprouver et retenir ce qui est bon » :

« Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ Chef le devoir et le droit d'être apôtres. Insérés qu'ils sont par le baptême dans le Corps mystique du Christ, fortifiés grâce à la confirmation par la puissance du Saint-Esprit, c'est le Seigneur lui-même qui les députe à l'apostolat. S'ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte (Cf. 1 P 2,4-10 ), c'est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre. Les sacrements et surtout la sainte Eucharistie leur communiquent et nourrissent en eux cette charité qui est comme l'âme de tout apostolat(1). L'apostolat se vit dans la foi, l'espérance et la charité que le Saint-Esprit répand dans les cœurs de tous les membres de l'Eglise. Bien plus, le précepte de la charité, qui est le plus grand commandement du Seigneur, presse tous les chrétiens de travailler à la gloire de Dieu par la venue de son règne et à la communication de la vie éternelle à tous les hommes : "Qu'ils connaissent le seul vrai Dieu et celui qu'il a envoyé, Jésus-Christ" (Cf. Jn 17,3).  A tous les chrétiens donc incombe la très belle tâche de travailler sans cesse pour faire connaître et accepter le message divin du salut par tous les hommes sur toute la terre. Pour l'exercice de cet apostolat, le Saint-Esprit qui sanctifie le peuple de Dieu par les sacrements et le ministère accorde en outre aux fidèles des dons particuliers (Cf. 1 Co 12,7 ), les "répartissant à chacun comme il l'entend" (Cf. 1 Co 12,11) pour que tous et "chacun selon la grâce reçue se mettant au service des autres" soient eux-mêmes "comme de bons intendants de la grâce multiforme de Dieu" (1 P 4,10), en vue de l'édification du Corps tout entier dans la charité (Cf. Ep 4,16). De la réception de ces charismes, même les plus simples, résulte pour chacun des croyants le droit et le devoir d'exercer ces dons dans l'Eglise et dans le monde, pour le bien des hommes et l'édification de l'Eglise, dans la liberté du Saint-Esprit qui "souffle où il veut" (Jn 3,8), de même qu'en communion avec ses frères dans le Christ et très particulièrement avec ses pasteurs. C'est à eux qu'il appartient de porter un jugement sur l'authenticité et le bon usage de ces dons, non pas pour éteindre l'Esprit, mais pour éprouver tout et retenir ce qui est bon (Cf. 1 Th 5,12 ; 1 Th 5,19 ; 1 Th 5,21) (2) ».

Notes :

(1) : « Cf. LG 1O ; LG 33 ».
(2) : « Cf. LG 8; LG 12 ».

2.3.6.4 Saint Thomas d’Aquin

Définition et caractérisation de la prophétie 

Somme Théologique. II-II Question 171, article 1 :

« La prophétie est premièrement et principalement un acte de connaissance ; en effet les prophètes connaissent les réalités qui échappent à la connaissance ordinaire des hommes. Aussi peut-on dire que le nom de "prophète" est composé de pro, c'est-à-dire "loin" et de phanos qui signifie "apparition", parce que les prophètes voient apparaître ce qui est éloigné. Voilà pourquoi, d'après Saint Isidore, " ils étaient nommés voyants dans l'Ancien Testament, car ils voyaient ce qui échappait aux autres, et ils percevaient ce qui était enveloppé de mystères". Dans le paganisme, on les appelait vates à cause de la force de leur esprit (vi mentis).

La prophétie est secondairement un discours.

 L'Apôtre écrit (1 Co 12,7) : "La manifestation de l'Esprit est donnée à chacun pour l'utilité commune. "Et" en vue de l'édification de l'Église". Ce que les prophètes instruits par Dieu connaissent, ils l'annoncent aux autres afin de les édifier, comme dit Isaïe (Is 21,10) : "Ce que j'ai entendu du Seigneur des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé". A la suite de Saint Isidore on peut donc considérer les prophètes comme des "prédisants" parce qu'ils "disent de loin" (porro) c'est-à-dire d'événements éloignés, "et annoncent la vérité sur l'avenir".
La prophétie implique le miracle, qui en est comme la confirmation. En effet, les vérités que Dieu révèle et qui surpassent la connaissance des hommes ne sauraient être confirmées par la raison humaine qu'elles dépassent, mais par l'action de la puissance divine ; comme le remarque Saint Marc (Mc 16,20) " Les Apôtres prêchèrent en tous lieux, le Seigneur les assistant et confirmant leur parole par les miracles qui l'accompagnaient ". On lit aussi dans le Deutéronome (Dt 34,10) : "En ce qui concerne les signes et les miracles, il ne s'est plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que le Seigneur connaissait face à face"
 ».

Nature, degrés et mode de la connaissance prophétique

« Toute connaissance qui se fait par la lumière peut s'étendre à tout ce que cette lumière manifeste ; ainsi la vision corporelle s'étend à toutes les couleurs, et la connaissance naturelle de l'âme à tout ce qui est soumis à la lumière par l'intellect agent. Or la connaissance prophétique se fait par une lumière divine qui permet de connaître toutes les réalités, qu'elles soient divines ou humaines, spirituelles ou corporelles. La révélation prophétique s'étend donc à toutes ces réalités. C'est ainsi que cette révélation aura pour objet, selon Isaïe, soit l'excellence de Dieu et les liturgies des esprits angéliques (Is 6,1) : " J'ai vu le Seigneur assis sur un trône haut et élevé " ; soit les corps naturels (Is 40,12) : " Qui a mesuré les eaux dans sa main ? " Soit aussi les mœurs des hommes (Is 58,7) : " Partage ton pain avec celui qui a faim. "Soit encore les événements futurs (Is 47,9) : "Ces deux malheurs t'arriveront soudain, en un même jour, la perte de tes enfants et le veuvage. " Il faut cependant remarquer que, la prophétie ayant pour objet ce qui est éloigné de notre connaissance humaine, plus les réalités échapperont à la connaissance humaine, plus elles appartiendront proprement à la prophétie. Or ces réalités comprennent trois degrés. Le premier degré est formé des réalités sensibles ou intellectuelles qui échappent à la connaissance, non de tous les hommes, mais de tel ou tel homme en particulier. Ainsi, l'un connaît par ses sens les objets qui lui sont localement présents, alors qu'un autre les ignore parce qu'ils lui sont absents : Élisée, par exemple, a perçu d'une façon prophétique ce qu'avait fait en son absence son disciple Giézi. Pareillement, les pensées intimes de certains sont manifestées à d'autres grâce à la prophétie, dit Saint Paul (1 Co 14,24). De même encore, ce dont l'un possède la science démonstrative, un autre peut en avoir la révélation prophétique. Le deuxième degré comprend les vérités qui dépassent universellement la connaissance de tous les hommes, non qu'elles soient inconnaissables en elles-mêmes, mais à cause de l'imperfection de la raison humaine : par exemple, le mystère de la Trinité. Ce mystère a été révélé par les Séraphins qui s'écriaient, d'après Isaïe (Is 6,3)  "Saint, Saint, Saint, etc.".
Le dernier degré se compose des réalités qui excèdent la connaissance de tous les hommes, parce qu'elles ne sont pas connaissables en elles-mêmes ; par exemple, les événements futurs contingents, dont la vérité objective n'est pas encore fixée. Or ce qui est " universel et par soi " est premier par rapport à ce qui est " particulier et par un autre ". Voilà pourquoi la révélation des événements futurs appartient de la façon la plus rigoureuse à la prophétie ; c'est même de là que semble venir le nom de prophétie. Saint Grégoire a donc pu écrire : "La prophétie, dont la nature est de prédire l'avenir, perd la raison de son nom, quand elle parle du passé ou du présent
».

Somme Théologique. II-II Question 171, article 5 :

« Il y a deux manières pour Dieu d'instruire l'âme du prophète ; la révélation expresse et, suivant les termes de Saint Augustin, "une certaine impulsion, que les hommes subissent quelquefois même à leur insu".
Dans la révélation expresse, le prophète possède la plus grande certitude des réalités qu'il connaît par le don de prophétie, et il tient aussi pour certain que ces réalités lui sont divinement révélées. " C'est en vérité, dit Jérémie (Jr 26,15), que le Seigneur m'a envoyé vers vous, pour faire entendre à vos oreilles toutes ces paroles. "Autrement, si les prophètes eux-mêmes n'avaient cette certitude, la foi qui s'appuie sur leurs allégations ne serait pas certaine. Nous avons un signe de la certitude qui s'attache à la prophétie dans ce fait qu'Abraham, après avoir été averti dans une vision prophétique, s'est préparé à immoler son fils unique ; ce qu'il n'aurait pas fait s'il n'avait été tout à fait sûr de la révélation divine. Mais dans l'impulsion prophétique, il arrive parfois que le prophète ne puisse pas pleinement discerner si ses paroles et ses pensées sont le résultat d'une inspiration divine, ou de son propre esprit. Or tout ce que nous connaissons par une impulsion divine ne nous est pas manifesté avec une certitude prophétique ; car cette impulsion divine est un degré imparfait dans le genre que constitue la prophétie. Et c'est en ce sens qu'il faut entendre les paroles de Saint Grégoire citées plus haut. Cependant, pour que l'erreur en ce cas ne puisse se produire, ajoute Saint Grégoire au même endroit, " le Saint-Esprit corrige au plus vite les prophètes en leur faisant entendre la vérité, et ils se reprennent eux-mêmes d'avoir tenu de faux discours"
 ».

Somme Théologique. II-II Question 173, article 1 :

« La prophétie comporte une connaissance divine qui est comme éloignée de nous. Aussi lit-on dans l'épître aux Hébreux (He 11,13) à propos des prophètes : " C'est de loin qu'ils regardaient. "Or ceux qui sont au ciel, dans la béatitude, ne voient pas comme de loin mais, pour ainsi dire, de tout près, selon ce mot du Psaume (Ps 140,14) : "Les justes demeureront devant ta face". Il est donc évident que la connaissance prophétique est autre que la connaissance parfaite du ciel. Elle s'en distingue comme l'imparfait du parfait ; et elle s'évanouira lorsque l'autre surviendra, comme le montre l'Apôtre (1 Co 13,8)

Certains, voulant distinguer la connaissance des prophètes de celle des bienheureux, ont prétendu que les prophètes voyaient l'essence divine, qu'ils appellent "miroir éternel", non pas pourtant en tant qu'elle est l'objet de béatitude, mais en tant qu'elle contient les raisons des événements futurs. Or cela est absolument impossible. En effet, Dieu est objet de béatitude selon son essence même. Saint Augustin le remarque : "Bienheureux celui qui te connaît, même s'il ignore les créatures". Mais il n'est pas possible de voir les raisons des créatures dans l'essence divine même, si l'on ne connaît pas cette essence.

D'une part, en effet, l'essence divine est la raison de tout ce qui se fait ; or la raison idéale n'ajoute à l'essence divine qu'un rapport aux créatures. D'autre part, on connaît d'abord une réalité en soi avant de la connaître par comparaison avec autre chose, ce qui revient ici à connaître Dieu comme objet de béatitude, avant de le connaître selon les raisons des choses qui existent en lui. C'est pourquoi les prophètes ne peuvent voir Dieu selon les raisons des créatures, sans qu'ils le connaissent comme objet de béatitude.

 Il faut donc soutenir que la vision prophétique n'est pas la vision de l'essence divine elle-même ; et ce n'est pas non plus dans cette essence divine que les prophètes contemplent ce qu'ils voient, mais dans certaines similitudes qu'éclaire la lumière divine. Aussi lit-on chez Denys, au sujet des visions prophétiques : "Le sage théologien appelle divine la vision produite par la similitude des réalités qui manquent de forme corporelle, parce que les voyants remontent du plan de la similitude à celui des choses divines". Ce sont ces similitudes, éclairées par la lumière divine, qui méritent le nom de miroir, bien plutôt que l'essence divine. Car dans un miroir se reflètent les images des autres réalités, ce qu'on ne peut dire de Dieu ; tandis que cette illumination de l'esprit par mode prophétique peut être appelée miroir, en tant qu'il s'y reflète une image de la vérité, de la prescience divine. C'est pourquoi on la nomme "miroir éternel", parce qu'elle représente la prescience de Dieu qui, dans son éternité, voit toutes choses d'une manière présente, comme on l'a établi plus haut ».

Somme Théologique. II-II Question 174, article 3 :

« La prophétie dans laquelle une vérité surnaturelle est révélée par la lumière intelligible, au moyen d'une vision de l'imagination, tient, comme on vient de le voir, le milieu entre la prophétie ou la vérité surnaturelle est révélée sans vision de l'imagination, et celle ou, par la lumière intelligible, sans vision sensible, l'homme arrive à savoir ou à faire ce qui est du ressort de la conduite humaine.

Or, plus que l'action, la connaissance est l'objet propre de la prophétie. Il en résulte donc que le degré le plus bas de la prophétie est celui dans lequel l'homme est amené par une impulsion intérieure à faire des actes extérieurs ; ainsi est-il dit de Samson, au livre des Juges (Jg 15,14)  : "L'Esprit du Seigneur fondit sur lui ; et, comme les fils de lin se consument à l'ardeur du feu, de même les liens qui l'enchaînaient tombèrent et le dégagèrent".

Le deuxième degré de la prophétie est celui ou l'homme est éclairé par une lumière intérieure pour connaître des vérités qui ne dépassent cependant pas les limites de la connaissance naturelle ; c'est ainsi qu'on lit au sujet de Salomon (1 R 4,13): " Il parlait en paraboles, dissertant sur les arbres, depuis le cèdre qui pousse dans le Liban jusqu'à l'hysope qui sort des murailles, ainsi que sur les bêtes de somme, les oiseaux, les reptiles et les poissons ".

Et tout cela venait d'une inspiration divine, car il est dit un peu auparavant (1 R 4,9) : " Dieu donna à Salomon la sagesse et une très grande prudence. " Toutefois ces deux degrés sont inférieurs à la prophétie proprement dite, car ils n'atteignent pas à la vérité surnaturelle.

Quant à la prophétie dans laquelle se manifeste une vérité surnaturelle au moyen d'une vision de l'imagination, voici comment on peut en distinguer les degrés.

1°) Par la différence entre le " songe " qui a lieu pendant le sommeil, et la "vision" qui se produit pendant la veille. Celle-ci constitue un plus haut degré de prophétie : il semble en effet que la lumière prophétique doit avoir de la force pour détacher l'âme occupée pendant la veille à des réalités sensibles et la tourner vers les vérités surnaturelles, plus que pour l'instruire lorsqu'elle est déjà détachée des objets sensibles par le sommeil.

2°) Par la diversité des symboles imagés sous lesquels s'exprime la vérité intelligible. Or, parce que les symboles qui expriment le mieux la vérité intelligible sont les paroles, il semble que la prophétie ou l'on entend, soit pendant la veille, soit durant le sommeil, des paroles exprimant une vérité intelligible l'emporte sur la prophétie ou l'on voit seulement certains symboles de la vérité, comme les "sept beaux épis" qui désignaient "sept années de prospérité" (Gn 41,5; Gn 41,28) . Et ici encore le degré de la prophétie est d'autant plus élevé que les symboles sont plus expressifs : Jérémie (Jr 1,13) rapporte, par exemple qu'il vit l'incendie de la ville sous l'image d'une " marmite qui bouillonne ".

3°) Nous avons affaire à un degré plus élevé de prophétie lorsque le prophète, non seulement perçoit des paroles ou des actions symboliques ; mais encore voit, pendant la veille ou le sommeil, quelqu'un qui s'entretient avec lui ou qui lui montre quelque chose ; cela prouve en effet que l'esprit du prophète s'approche davantage de la cause qui produit la révélation.

4°) D'après la condition de celui que voit le prophète. Si celui qui parle ou qui montre, pendant la veille ou le sommeil, a l'apparence d'un ange, c'est mieux que s'il avait celle d'un homme. Et le degré de prophétie sera encore plus élevé si, dans la veille comme dans le sommeil, on entrevoit la forme de Dieu, ainsi que le dit Isaïe (Is 6,1) : "J'ai vu Dieu sur son trône". Toutefois au-dessus de tous ces degrés, se place le troisième genre de prophétie, dans lequel la vérité intelligible et surnaturelle est révélée sans vision de l'imagination. Mais ce genre dépasse, on l'a vu, la notion de prophétie au sens propre. Il en résulte que les degrés de la prophétie proprement dite se distinguent d'après la vision de l'imagination ».

La connaissance de ce qui est prophétisé par le prophète

« Dans la révélation prophétique l'esprit du prophète est mû par l'Esprit Saint comme un instrument déficient par rapport à l'agent principal. Or le Saint-Esprit pousse l'esprit du prophète, soit à comprendre, soit à annoncer, soit à faire quelque chose ; tantôt à ces trois actes ensemble, tantôt à deux d'entre eux, tantôt à un seul. Et il peut se produire, dans chacun de ces cas, qu'il y ait chez le prophète un défaut de connaissance. Car, puisque l'esprit du prophète est mû pour juger ou pour saisir une vérité, il arrive parfois qu'il saisisse cette vérité, mais sans se rendre compte qu'elle lui a été révélée par Dieu ; d'autres fois au contraire il s'en rend compte.

De même, dans le cas d'annonce prophétique, l'esprit du prophète, tantôt comprend ce que l'Esprit Saint affirme par sa bouche, comme David qui disait (2 S 23,2) : "L'esprit du Seigneur a parlé par moi", - tantôt ne saisit pas ce que l'Esprit Saint a voulu signifier par les paroles qu'il prononce, comme Caïphe. Enfin il en va de même dans le cas d'action prophétique ; parfois les prophètes comprennent la signification de leur acte, tel Jérémie qui cache sa ceinture dans l'Euphrate (Jr 3,59) ; parfois ils n'en ont aucune conscience : par exemple les soldats qui se sont partagé les vêtements du Christ ne comprirent pas ce que cela figurait.

Donc, lorsque quelqu'un a conscience qu'il est conduit par l'Esprit Saint soit à juger une vérité, soit à l'exprimer par la parole ou par l'action, cela relève en propre de la prophétie. Tandis que, lorsqu'il est mû par l'Esprit Saint, mais sans le savoir, il n'y a pas prophétie parfaite, mais impulsion prophétique. Cependant, il faut reconnaître que, l'esprit du prophète étant un instrument déficients, nous l'avons dit, même les vrais prophètes ne connaissent pas tout ce que l'Esprit Saint veut obtenir, soit par leurs visions, soit par leurs paroles, soit même par leurs actions. Cela donne clairement la réponse aux objections car ces arguments d'introduction parlent des vrais prophètes, dont l'esprit est parfaitement éclairé par Dieu ».