3.1.3 Commentaire de l’audience générale du 22 avril 1998

Afin de poursuivre plus en profondeur notre analyse, je voudrai développer un argumentaire à partir de l’audience générale du 22 avril 1998 présidée par le Pape Jean-Paul II, que je commenterai dans le corps du texte, en fin de chaque paragraphe. C’est véritablement un texte de référence pour l’ensemble de notre sujet, car il reprend de façon synthétique l’ensemble des principaux thèmes abordés au cours de notre étude, c’est la raison pour laquelle il fait ici l’objet d’une analyse spécifique.

§ 1 : « Le chemin vers le Jubilé, tout en rappelant la première venue historique du Christ, nous invite également à regarder en avant, dans l'attente de sa seconde venue à la fin des temps. Cette perspective eschatologique, qui indique le but fondamental de l'existence chrétienne vers les réalités ultimes, est un appel permanent à l'espérance et, dans le même temps, à un engagement dans l'Eglise et dans le monde ». "Nous ne devons pas oublier que l'« éschaton », c'est-à-dire l'événement final, entendu de façon chrétienne, n'est pas seulement un objectif situé dans l'avenir, mais une réalité déjà commencée avec la venue historique du Christ. Sa passion, sa mort et sa résurrection constituent l'événement suprême de l'histoire de l'humanité. Cette dernière est désormais entrée dans sa phase ultime, accomplissant, pour ainsi dire, un saut de qualité. Dans le temps se dessine l'horizon d'une nouvelle relation avec Dieu, caractérisée par la grande offrande du salut dans le Christ".C'est pourquoi Jésus peut dire : "L'heure vient et c'est maintenant où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront" (Jn 5,25). La résurrection des morts, attendue pour la fin des temps, est rendue actuelle dès à présent de façon décisive, dans la résurrection spirituelle, objectif primordial de l'œuvre du salut. Elle consiste dans la vie nouvelle communiquée par le Christ ressuscité, en tant que fruit de son œuvre rédemptrice. C'est un mystère de renaissance dans l'eau et dans l'Esprit (Cf. Jn 3,5) qui marque profondément le présent et l'avenir de toute l'humanité, même si son efficacité n'agit dès à présent que chez ceux qui accueillent pleinement le don de Dieu et le font rayonner dans le monde.

Premier commentaire :

- L’humanité est bien entrée « dans sa phase ultime ». Ainsi, il est fondamental de souligner le caractère prophétique des paroles de Jean-Paul II, notamment lorsqu’il évoque l’idée que : « dans le temps se dessine l'horizon d'une nouvelle relation avec Dieu, caractérisée par la grande offrande du salut dans le Christ ». Cette nouvelle relation nous renvoie directement au Règne glorieux du Christ (abordé dans son ensemble au § 4 de notre étude) que l’humanité connaîtra bientôt, à travers la nouvelle et extraordinaire manière par laquelle Jésus se fera sentir par sa présence habituelle dans l’Eucharistie (Cf. § 4.4).

Entendons-nous bien, non que la présence du Christ ait substantiellement changée dans l’Eucharistie, car le Christ est le même « hier, aujourd’hui et à jamais » (Cf. He 13,8), mais bien la nouveauté de la relation entre le Créateur et Sa créature, en particulier pour cette dernière

- A cette étape de notre réflexion il est également nécessaire de considérer de quelle résurrection il est ici question. Selon la référence mentionnée par Jean-Paul II lui-même, doit advenir en nos temps un certain mode de résurrection bien différent de celui qui précèdera le Jugement dernier.

Il s’agit nécessairement d’une résurrection spirituelle, puisque l’unique résurrection de la chair est attendue pour la fin du monde (Cf. 2.1.5). Pour nous en convaincre, la note ‘a’ de la Bible de Jérusalem précise, page 2016, en référence à Jn 5,25, que les morts dont il est question, sont bien « les morts spirituels ». C’est exactement le sens que donne le Saint Père lorsqu’il évoque en dernier lieu « le mystère de renaissance dans l’eau et dans l’Esprit » en précisant que cette renaissance n’est possible que pour « ceux qui accueillent pleinement le don de Dieu et le font rayonner dans le monde » c'est-à-dire les « vivants » par opposition aux morts spirituels que nous venons d’évoquer.

§ 2 : « Cette double dimension, à la fois présente et future, de la venue du Christ apparaît clairement à travers ses paroles. Dans le discours eschatologique, qui précède de peu le drame pascal, Jésus prédit : "Et alors on verra le Fils de l'homme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire. Et alors il enverra les anges pour rassembler ses élus, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel" (Mc 13,26-27). Dans le langage apocalyptique les nuées sont un signe théophanique : elles indiquent que la seconde venue du Fils de l'homme ne s'accomplira pas dans la faiblesse de la chair, mais dans la puissance divine. Ces paroles du discours font penser à un avenir ultime qui conclura l'histoire. Toutefois, en répondant au Grand Prêtre durant le procès, Jésus reprend la prophétie eschatologique en l'annonçant comme un événement imminent : "Je vous le déclare : dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel" (Mt 26,64). En comparant ces paroles avec celles du discours précédent, l'on saisit le sens dynamique de l'eschatologie chrétienne, comme un processus historique désormais amorcé et en marche vers sa plénitude.

Deuxième commentaire :

Est requis également ici un peu de finesse pour bien comprendre la teneur des propos du Saint-Père, qui nous laisse en réalité entendre que cette seconde venue du Seigneur ne conclura pas l’histoire de l’humanité.

Pour en relever le sens, il suffit de faire une double considération :

- D’une part, bien identifier la sémantique globale exprimée par les liens logiques qui articulent les mots. La nuance est claire, si l’on prête attention à la place et au sens que confère l’adjectif de transition « toutefois », élément pivot reliant l’expression « avenir ultime qui conclura l'histoire » et « Jésus reprend la prophétie eschatologique en l'annonçant comme un événement imminent ». En relevant qu’il n’y a pas d’antinomie (contradiction entre deux idées) entre les deux propositions, cela nous ramène à envisager une réalité bien précise qui ne concerne pas la conclusion de l’histoire humaine, mais bien une réalité intermédiaire.

- D’autre part, rappeler la distinction fondamentale qu’il existe entre la « fin des temps » et la « fin du monde » (Cf. 2.1.4), ce que le paragraphe suivant permet de mieux saisir.

§ 3 : « D'autre part, nous savons que les images apocalyptiques du discours eschatologique, à propos de la fin de toutes les choses, doivent être interprétées dans leur valeur symbolique. Elles expriment la précarité du monde et la puissance souveraine du Christ, entre les mains duquel est placé le destin de l'humanité. L'histoire est en marche vers son but, mais le Christ n'a donné aucune indication chronologique. Les tentatives de prévision de la fin du monde sont donc illusoires et nous égarent. Le Christ nous a seulement assuré que la fin n'aura pas lieu avant que son œuvre salvifique n'ait atteint une dimension universelle à travers l'annonce de l’Evangile : "Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin" (Mt 24,14). Jésus adresse ces paroles aux disciples soucieux de connaître la date de la fin du monde. Ils auraient été tentés de penser à une date proche ; Jésus leur fait comprendre que de nombreux événements et cataclysmes doivent tout d'abord se produire et qu'ils seront seulement le «commencement des douleurs» (Mc 13,8). C'est pourquoi, comme le dit Paul, toute la création « gémit en travail d'enfantement» en attendant avec impatience la révélation des fils de Dieu (Cf. Rm 8,19-22).

Troisième commentaire :

Le Saint Père nous met ici en garde contre les visions trop matérialistes concernant le « discours eschatologique » (Cf. définition de l’Eschatologie au § 2.1.2), sachant que Dieu ne détruit jamais l’œuvre de ses mains, mais transforme et purifie.

Il y a bien une nécessaire et incontournable dimension symbolique dans le discours apocalyptique, qui renvoi cependant à une réalité concrète qu’il convient d’identifier le mieux possible (Cf. § 2.2.6 pour une analyse plus approfondie sur le sujet).
Dans le même temps, il est bon de souligner, que le chapitre 24 de l’Evangile de Saint Matthieu correspond à la description de la période finale de la « fin des temps » : c’est bien de cette « fin » dont il est question et non celle de la « fin du monde » (Cf. § 3.2 Identification des textes bibliques).

§ 4 : « L'œuvre évangélisatrice du monde comporte la profonde transformation des personnes humaines sous l'influence de la grâce du Christ. Paul nous indique que le but de l'histoire, dans le dessein du Père, est de «tout réunir sous un seul chef, le Christ, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre» (Ep 1,10). Le Christ est le centre de l'univers, qui attire chacun à lui pour lui communiquer l'abondance de la grâce et la vie éternelle. Le Père a donné à Jésus le "pouvoir d'exercer le jugement parce qu'il est Fils d'homme" (Jn 5,27). Si le jugement prévoit bien évidemment la possibilité d'une condamnation, il est toutefois confié à celui qui est "Fils d'homme", c'est-à-dire à une personne pleine de compréhension et solidaire de la condition humaine. Le Christ est un juge divin avec un cœur humain, un juge qui désire donner la vie. Seul l'enracinement impénitent dans le mal peut l'empêcher de faire ce don, pour lequel Il n'a pas hésité à affronter la mort.

Quatrième commentaire :

Enfin, notre Dieu est Vie et Miséricorde en Personne, et désire notre salut infiniment plus que nous même, car le « Christ est un juge divin avec un cœur humain ».