6.1.5 Abbé Rohrbacher : « Histoire universelle de l’Eglise Catholique » (1857) 

L’abbé René François Rohrbacher (1789-1856) a été professeur de l’histoire de l’église au séminaire de Nancy en 1840. Il s’établira ensuite à Paris jusqu’à la fin de sa vie.
Son œuvre majeure est l’ « Histoire universelle de l’Église Catholique », publiée de 1842 à 1849, et rééditée à de nombreuses reprises :

- extrait du tome 4, livre 26, pages 479 et 488 (traitant de l’année 66 à l’année 100 de l’ère chrétienne) :

Page 479 :

« Quant à la première introduction du christianisme dans les Gaules, les sentiments ont varié en France depuis deux siècles. Jusqu’alors on y avait cru, comme partout ailleurs, que le christianisme avait été prêché dans la Gaule méridionale par Saint Lazare, premier évêque de Marseille ; par ses deux sœurs, Sainte Marthe et Sainte Marie-Madeleine ; et par Saint Maximin, un des soixante-douze disciples, premier évêque d’Aix ; que, sous l’empereur Claude, Saint Pierre avait envoyé dans les Gaules, accompagnés d’autres missionnaires, les sept évêque suivants : Trophime d’Arles, Paul de Narbonne, Martial de Limoges, Austremoine de Clermont, Gatien de Tours et Valère de Trèves ; que le Pape Clément, troisième successeur de Saint Pierre, envoya Denys l’Aréopagite, premier évêque de Paris.
D’un autre coté, Saint Epiphane dit de Saint Luc qu’il prêcha en Dalmatie, en Gaule, en Italie, mais principalement en Gaule.
Le même Père dit encore que Crescent, disciple de Saint Paul, vint prêcher dans la Gaule, et que c‘est une erreur d’appliquer à la Galatie ce que dit l’apôtre à cet égard dans sa seconde épître à Timothée.
Saint Isidore de Séville compte encore l’apôtre Saint Philippe parmi ceux qui prêchèrent l’Evangile dans les Gaules. Aussi, dès l’année 190, Saint Irénée de Lyon prouvait-il la vérité de la foi catholique par l’unanimité de la tradition dans toutes les églises du monde, parmi lesquelles il met les églises établies chez les Celtes ou Gaulois. Quelques années après, Tertullien disait aux Juifs que les diverses nations »

Page 480 :

« des Gaules s’étaient soumises au Christ, avec le reste de l’univers.
Les diverses nations des Gaules sont les quatre provinces en lesquelles Auguste les avait divisées : Narbonne, Lyon, Belgique, Aquitaine.
Telle était donc l’ancienne tradition, et du pays et d’ailleurs, sur la première introduction du christianisme dans les Gaules.

Vers la fin du dix-septième siècle, à la suite et sur l’autorité de Launoy, docteur suspect et téméraire, un certain nombre d’écrivains, plus ou moins infecté de jansénisme, se faisant les échos les uns des autres, avancèrent et soutinrent que cette ancienne et commune tradition sur la première introduction du christianisme dans les Gaules était fausse et inventée depuis le dixième siècle. Des catholiques mêmes, sans y regarder de plus près, répétèrent ce qu’ils entendaient dire. Ce devint l’opinion dominante en France. On se mit à changer la tradition des bréviaires et des missels, tant à Paris que dans d’autres diocèses. Sainte Marie-Madeleine ne resta plus une et la même ; elle fut divisée en trois personnes : la femme pécheresse et pénitente ; Marie, sœur de Lazare, et enfin Marie-Madeleine, de laquelle le Sauveur avait chassé sept démons. L’arrivée de Lazare et de ses deux sœurs en Provence fut déclarée non avenue : la mission apostolique des sept premiers évêques fut retardée de plus de deux siècles.
Le tout, parce que tel était l’avis de Launoy et de ses pareils, qui marchaient plus ou moins sur les traces de Luther et de Calvin. Cependant l’Eglise romaine, et dans son bréviaire, et dans son missel, et dans son martyrologe, et dans ses écrivains les plus approuvés, conservait l’ancienne tradition, d’ailleurs si honorable pour la France.

Aujourd’hui, 1848, un prêtre français, l’abbé Faillon, de la congrégation de Saint-Sulpice, vient démontrer, par une foule de monuments inédits ou peu connus, que l’Eglise romaine avait raison, et que les liturgistes français ont eu tort de bouleverser aussi précipitamment leur liturgie et tradition ancienne, sur des autorités et des arguments plus minces les uns que les autres.

Il prouve d’abord que Sainte Marie-Madeleine, Marie, sœur de Lazare, et la pécheresse pénitente, sont une seule et même personne.
Il le prouve par la tradition primitive, perpétuelle et générale des Grecs et des Latins. Chez les Grecs, sauf deux ou trois Pères qui, en passant, admettent ou supposent plusieurs personnes, l’unité a été reconnue et enseignée par tous les autres, notamment par ceux qui »

Page 481 :

« ont traité la question d’une manière plus expresse : tels Ammonius Saccas, maître d’Origène, dans son Harmonie des Evangiles, et Eusèbe de Césarée, dans ses Canons évangéliques, traduits par Saint Jérôme. Origène est le premier qui imagina plusieurs femmes au lieu d’une seule femme. Lui, dans un endroit, en suppose trois ou même quatre, persuadé que c’était le moyen de résoudre plus aisément les objections de Celse. Ailleurs, il en admet trois ; plus loin seulement deux ; enfin, il y a tel passage où il semble n’en admettre qu’une. Aussi Origène a-t-il été cité pour et contre la distinction. Saint Chrysostome convient que tous les évangélistes semblent parler d’une seule personne : lui, dans son opinion particulière, en distingue deux, et mêmes plusieurs pécheresses. Voilà les deux Pères grecs qui s’éloignent du sentiment ancien et commun. Saint Ephrem, diacre de l’Eglise d’Edesse en Syrie, vivait au quatrième siècle.
Comme ses écrits étaient lus publiquement après l’Ecriture Sainte, son sentiment peut être regardé comme celui de la Syrie entière. Or, il dit positivement que la pécheresse pénitente, Marie, sœur de Lazare, et Marie-Madeleine, possédée de sept démons, c’est une seule et même personne, qui, après une vie scandaleuse, mérita d’être associée aux apôtres et aux évangélistes, pour annoncer la résurrection du Sauveur. Quant à la tradition de l’Eglise latine, l’auteur fait voir que les Pères latins supposent tous, sans exception, que Marie-Madeleine est la même que la sœur de Marthe, ou la pécheresse. Enfin, par un travail aussi édifiant que curieux, il expose l’application allégorique que les saints docteurs font des actions diverses de la pécheresse, de Marie, sœur de Lazare, et de Marie-Madeleine, à la gentilité d’abord pécheresse, puis repentante, puis saintement dévouée, comme d’une seul et même personne à une seule.

Quant aux arguments de Launoy et consorts pour introduire dans le bréviaires la distinction de Marie-Madeleine, les deux principaux sont deux méprises assez singulières. On citait en faveur de la distinction un passage de Saint Théophile d’Antioche, qui vivait dans le second siècle. Le passage est formel : seulement, au lieu d’être de Saint Théophile d’Antioche, il est de Théophylacte, écrivain du Bas-Empire, et qui vivait, non pas précisément dans le second siècle, mais bien dans le onzième. Pour des critiques qui voulaient en remonter à l’Eglise romaine, la méprise est un peu forte. En voici une autre qui ne l’est pas moins. Les réformateurs janséniens de la liturgie en France s’appuyèrent du martyrologe romain pour introduire dans le bréviaire de Paris, au dix-neuf janvier, la fête de Sainte Marie et de »

Page 482 :

« Sainte Marthe ; l’innovation de Paris fut imitée dans beaucoup d’autres diocèses. Un jésuite flamand, le Père Sollier, fit voir que cette innovation gallicane ne reposait que sur une bévue. Voici tout ce que dit le martyrologe romain au dix-neuf janvier : Fête des saints Marius et Marthe, sa femme, et de leurs enfants, Audifax et Abacuc, nobles persans, qui, étant venus à Rome sous l’empire de Claude, y souffrirent le martyre. Mais comment les liturgistes modernes ont-ils pu trouver dans cette annonce la fête de Sainte Marie et de Sainte Marthe, sœur de Lazare ? Le voici. Au lieu de Marius et Marthe, sa femme, un des modernes docteurs a lu Marie et Marthe, et supprimé prudemment tout le reste. Et les autres l’ont cru et répété sur parole. Quand le jésuite eut révélé ce plaisant mystère, les novateurs de Paris eurent assez de sens pour supprimer cette fête dans une nouvelle édition de leur bréviaire ; mais elle continua de figurer dans les bréviaires de province. Tels sont les deux principaux arguments modernes, pour distinguer Marie, sœur de Marthe et de Lazare, d’avec Marie-Madeleine.

Les arguments contre la mission apostolique de Lazare, de Marthe et de Marie-Madeleine, ainsi que de Saint Maximin, en Provence, ne sont pas plus péremptoires. Au dix-septième siècle, cette mission était reconnue par toutes les églises d’Occident. Launoy s’inscrivit en faux, attendu que Saint Lazare était mort en Chypre, Sainte Marthe à Béthanie, Sainte Marie-Madeleine à Ephèse, et qu’aucun écrit ou monument antérieur au onzième siècle ne parle de leur apostolat en Provence. Pour prouver que la tradition constante des Provençaux et de tout l’Occident sur Saint Lazare est fausse, Launoy ne cite qu’un compilateur grec du onzième ou douzième siècle, qui, parlant des reliques d’un Saint Lazare « juste », découvert es en Chypre sous l’empereur Léon VI, le confond avec Saint Lazare de Béthanie, qualifié partout de martyr, et que les Cypriotes n’ont jamais cru ni su enterré parmi eux. Saint Epiphane, évêque de Salamine en Chypre à la fin du quatrième siècle, parle en détail de Lazare et du caractère de sa résurrection ; mais il ne dit ni ne suppose d’aucune manière que son tombeau fût dans le pays, ce qu’il n’eut pas manqué de faire, si l’on en eût été persuadé. Enfin des moines grecs de l’île de Chypre même, consultés sur le lieu de la mort de Saint Lazare, après publication de l’ouvrage de Launoy, répondirent : « Qu’il était constant, par des monuments anciens des églises grecques, que sainte Madeleine, Sainte Marthe, sa sœur, et Saint Lazare, leur frère, avait abordé en Provence et qu’ils reposaient dans ce pays ». Launoy prouve de même que Sainte Marie-Madeleine est morte à Ephèse, attendu que dans un fragment grec d’actes apocryphes, il est parlé d’une Sainte Marie- »

Page 483 :

« Madeleine, vierge et martyre, suppliciée à Ephèse, et que l’on suppose la sœur de Lazare. Mais la sœur de Lazare n’a jamais été qualifiée de Vierge ni de martyre. Mais Polycrate, évêque d’Ephèse, dans la lettre où, à la fin du second siècle, il énumère toutes les gloires de son église, ne dit pas un mot du tombeau de Saint Marie-Madeleine, dont Grégoire de Tours célèbre la gloire en Occident, c’est que cette vierge d’Ephèse n’avait pas encore souffert le martyre au temps de Polycrate, mais qu’elle le souffrit plus tard. Quant à Sainte Marthe, Launoy et ses répétiteurs s’appuient de Flodoard pour assurer qu’elle est morte à Béthanie. Mais Flodoard dit seulement que de son temps on voyait encore à Béthanie la maison de Marthe, changé en église : il ne dit mot, ni de sa mort ni de son tombeau.

Mais le grand argument de Launoy, c’est qu’aucun écrit ni monument antérieur au onzième siècle ne parle de l’apostolat de Lazare, Marthe et Marie-Madeleine en Provence. L’époque n’est pas mal choisie. Car, pendant les huitième, neuvième et dixième siècles, la Gaule méridionale fut ravagée par les Sarrasins, qui y détruisirent toutes les archives et monuments des églises. Toutefois il leur a échappé assez de monuments écrits et autres pour prouver, à eux seuls, ce que prouvait déjà suffisamment la tradition toujours vivante et générale, savoir : l’apostolat des Saints Lazare, Marthe et Marie-Madeleine, ainsi que de Saint Maximin, en Provence.

Voici la série de ces monuments publiés par l’auteur :

1°) Une ancienne Vie de Sainte Madeleine, écrite au cinquième ou au sixième siècle et transcrite textuellement dans une autre plus étendue, composée au neuvième par Saint Raban Maur, archevêque de Mayence, lesquelles toutes confirment de point en point la tradition vivante.

2°) L’auteur produit, comme monuments plus anciens encore que ces Vies écrites, divers tombeaux de la crypte de Sainte Madeleine : d’abord celui de Saint Maximin. Il montre que ce tombeau confirme la vérité de l’ancienne Vie et prouve que, dès les premiers siècles, et probablement avant la paix donnée à l’Eglise par Constantin, les chrétiens de Provence honoraient Saint Maximin, leur apôtre, comme l’un des soixante-douze disciples du Sauveur.

3°) A ce tombeau, il joint celui de Sainte Madeleine, qui confirme aussi la vérité de l’ancienne Vie et prouve que, dès les premiers siècles de l’Eglise, les chrétiens de Provence croyaient posséder et honoraient en effet le corps de Sainte Madeleine, la même dont l’Evangile fait mention.

4°) Il montre que, longtemps avant les ravages des Sarrasins en Provence »

Page 484 :

« La Sainte-Baume était honorée comme le lieu de la retraite de Sainte Madeleine.

5°) Qu’avant les ravages de ces barbares, on honorait à Aix l’oratoire de Saint-Sauveur comme un monument sanctifié par la présence de Saint Maximin et de Sainte Madeleine, et qu’en effet c’est à ces saints apôtres qu’on doit en attribuer l’origine.

6°) Que les actes du martyre de Brescia, en Italie, prouvent, sous l’empire de Claude, Saint Lazare était évêque de Marseille et Saint Maximin évêque d’Aix.

7°) Qu’avant les ravages des Sarrasins, le corps de Saint Lazare, ressuscité par Jésus-Christ, était inhumé à Marseille, dans l’église de Saint-Victor, et qu’on est bien fondé en attribuant l’origine des cryptes de cette abbaye au même Saint Lazare, premier évêque de Marseille.

8°) Que la prison de Saint-Lazare, à Marseille, est un monument antique qui confirme l’apostolat et le martyre de ce Saint.

9°) Que le tombeau de Sainte Marthe, à Tarascon, était en très grande vénération au cinquième et au sixième siècle : que Clovis I er, étant attaqué d’une maladie, s’y rendit lui-même et y obtint sa guérison.

10°) Qu’avant les ravages des Sarrasins, Sainte Marthe était honorée comme l’apôtre de la ville d’Avignon.

11°) Que les démêlés au sujet de la primatie d’Arles n’ont rien de contraire à l’apostolat de nos Saints, et que les archevêques d’Arles, au lieu de réclamer contre cette même croyance, l’ont expressément reçue et confirmée.

12°) Que l’apostolat de Saint Lazare, de Sainte Marthe et de Sainte Marie-Madeleine est confirmé par les plus anciens martyrologes d’Occident.

13°) Qu’au commencement du huitième siècle, les Provençaux cachèrent les reliques de leurs saints apôtres pour les soustraire aux profanations des Sarrasins, et mirent dans un sépulcre, avec le corps de Sainte Madeleine, une inscription de l’an 710, conçue en ces termes : « L’an de la nativité du Seigneur, 710, le 6 ième  jour de décembre, sous le règne d’Odoïn, très-bon roi des Francs, au temps des ravages de la perfide nation des Sarrasins, ce corps de la très-chère et vénérable Sainte Madeleine a été, à cause de la crainte de ladite perfide nation, transféré très secrètement, pendant la nuit, de son sépulcre d’albâtre dans celui-ci qui est de marbre, duquel l’on a retiré le corps de Sidoine, parce qu’ici il est plus caché ». Comme l’a remarqué le docte Pagi, ce roi des Francs, du nom d’Odoïn ou Odoïc, n’est autre que le fameux Eudes, duc d’Aquitaine, qu’on trouve appelé quelquefois Odon, quelquefois Otton, Odoïc ou Odoïn. Il était de la première dynastie des rois des Francs, dans laquelle nous voyons que tous les princes portaient le titre de roi. D’ailleurs, c’est précisément de 700 à 710, pendant que les Francs de Neustrie et d’Austrasie se disputaient à qui serait le maître des rois fainéants, sous le titre de maire du palais ; c’est précisément »

Page 485 :

« dans cet intervalle que le duc Eudes, Odon, Odoïn ou Odoïc, fut le seul défenseur, et par là même le seul roi, de la France méridionale contre les Sarrasins.

Dans la partie subséquente de son ouvrage, l’auteur des « Monuments inédits » expose les principaux faits concernant le culte de chacun de ces saints personnages, depuis les ravages des Sarrasins jusqu’à nos jours. Quant à la mission des sept évêques dans les Gaules par Saint Pierre, sous l’empire de Claude, quoique l’auteur n’ait pas but direct de la prouver, il en offre néanmoins des preuves nouvelles et remarquables : d’abord un ancien manuscrit, autrefois à l’Eglise d’Arles, dans lequel sont recueillies les lettres des Papes et aux archevêques de cette métropole, depuis le Pape Zosime jusqu’à Saint Grégoire le Grand. Or, immédiatement après les lettres du Pape Pélage à Sapaudus, qui mourut en 586, et avant celles de Saint Grégoire à Virgile, on lit ce titre peint en vermillon : « Des sept personnages envoyés par Saint Pierre dans les Gaules, pour y prêcher la foi ; et ensuite les paroles suivantes : Sous l’empereur Claude, l’apôtre Pierre envoya dans les Gaules, pour prêcher le foi de la Trinité aux gentils, quelques disciples auxquels il assigna des villes particulières : ce furent Trophime, Paul, Martial, Austremoine, Gatien, Saturnin et Valère ; enfin plusieurs autres que le bienheureux apôtre leur avait désignés pour compagnons. Raban Maur, dans sa Vie de Marie-Madeleine, parle également de Trophime d’Arles, de Paul de Narbonne, de Martial de Limoges, de Saturnin de Toulouse, de Valère de Trèves, comme envoyés au temps même des apôtres.

Pour ce qui est de Saint Trophime en particulier, l’église d’Arles l’a toujours honoré comme un des soixante-douze disciples et envoyé par Saint Pierre. Il est vrai Grégoire de Tours, qui écrivait sur la fin du sixième siècle, conclut dans un endroit que Trophime et les six évêques furent envoyés sous l’empire de Dèce, en 250 ; il le conclut des actes de Saint Saturnin, ou plutôt de la date de ces actes, qui, d’après le bruit public, disent-ils, mettent le consulat de Décius et Gratus pour l’arrivée de Saturnin à Toulouse, sans mentionner les autres évêques. Mais Grégoire même ne croit pas trop à cette date, ou bien il n’est pas d’accord avec lui-même ; car, dans un autre endroit, il dit que Saint Saturnin avait ordonné par les disciples des apôtres, ce qui suppose la fin du premier siècle ou le commencement du second. Mais il existe en faveur de Saint Trophime un témoignage antérieur d’un siècle et demi à Grégoire, témoignage »

Page 486 :

« bien autrement solennel et authentique : c’est la lettre de dix-neuf évêques au Pape Saint Léon, en faveur de l’Eglise d’Arles, pour le supplier de rendre à cette métropole les privilèges qu’il lui avait ôtés.
« Toute la Gaule sait, disent-ils, et la Sainte Eglise romaine ne l’ignore pas, qu’Arles, le première ville des Gaules, a mérité de recevoir de Saint Pierre Saint Trophime pour évêque, et que c’est de cette ville que le don de la foi s’est communiqué aux autres provinces des Gaules ». Dans leur requête, ces dix-neuf évêques voulaient montrer que l’Eglise d’Arles était plus ancienne que celle de Vienne. Mais si saint Trophime n’avait fondé l’église d’Arles qu’au milieu du troisième siècle, comment tous ces évêques auraient-ils pu lui attribuer une ancienneté plus grande qu’à l’église de Vienne, déjà florissante dès le second, comme on le voit par la lettre de cette église et celle de Lyon aux églises d’Asie, sous Marc-Aurèle, l’an 177 ? Prétendre, avec certains critiques, que par ces mots « envoyé par saint Pierre », les évêques voulaient simplement dire que Trophime avait été « envoyé par le siège », c’est leur attribuer une niaiserie et méconnaître l’état de la question. Le Pape Innocent I er atteste que tous les évêques des Gaules ont été envoyés par ce siège, c'est-à-dire par Saint Pierre ou par ses successeurs. Comment donc les dix-neuf évêques auraient-ils pu conclure de là que l’Eglise d’Arles était plus ancienne que celle de Vienne ? Enfin, l’église de Vienne elle-même dément Grégoire de Tours par le plus savant de ses archevêques, Saint Adon. Il dit au 27 janvier de son martyrologe : «  A Arles, fête de Saint Trophime, évêque et confesseur, disciple des apôtres Pierre et Paul ». Il dit plus au long, dans son livre de la fête des apôtres : « Fête de Saint Trophime de qui l’Apôtre écrit à Timothée  »: J’ai laissé Trophime malade à Milet. « Ce Trophime, ordonné évêque par les apôtres à Rome, a été envoyé le premier à Arles, ville de la Gaule, pour y prêcher l’Evangile du Christ ; et c’est de sa fontaine, comme écrit le bienheureux Pape Zosime, que toutes les Gaules ont reçu les ruisseaux de la foi. Il s’est endormi en paix dans la même ville ». Ainsi, Saint Adon de Vienne non-seulement assure que Saint Trophime d’Arles y a été envoyé premier évêque par les apôtres, mais il le prouve par l’autorité du Pape Zosime, antérieur de plus d’un siècle à Grégoire de Tours.

Un témoignage plus ancien encore que celui des dix-neuf évêques et même du Pape Zosime fait voir qu’on ne peut pas s’en rapporter, pour Saint Trophime, à l’époque de Grégoire de Tours. Vers l’an 252 ou 253, Faustin, évêque de Lyon, et les autres évêques de la même province, écrivirent au Pape Saint Etienne et à Saint Cyprien de Carthage contre Marcien, évêque d’Arles, qui, infecté du schisme et de »

Page 487 :

« l’erreur de Novatien, s’était séparé de leur communion « depuis longtemps » et refusait l’absolution aux pénitents, même à la mort. Saint Cyprien exhorta le Pape, au plus tard en 254, à écrire des lettres dans la province pour excommunier et déposer Marcien et le remplacer par un autre. « Il y a longtemps, dit Cyprien, qu’il s’est séparé de notre communion ; qu’il lui suffise d’avoir laissé mourir, les années précédentes, plusieurs de nos frères sans leur donner la paix ». Ces expressions, « les années précédentes » et « depuis longtemps », employées au plus tard au commencement de 254, font remonter naturellement à 250 ou 251 l’époque où Marcien se sépara de ses collègues. Son épiscopat avait dû commencer avant 250. Comment alors supposer, avec Grégoire de Tours, que Saint Trophime ne fut envoyé de Rome qu’en 250, sous l’empire de Dèce ? Dèce, de qui la persécution éclata dès 249 et fut si terrible que, le Pape Fabien ayant été martyrisé dès le 20 janvier 250, on fut plus de seize mois sans pouvoir élire un nouveau Pape. Et Saint Cyprien en donne cette raison : « C’est que le tyran, acharné contre les Pontifes de Dieu s’établissait à Rome ». Certainement on ne comprend guère comment le Pape Fabien, martyrisé dès le 20 janvier 250, put envoyer cette année-là même sept évêques avec de nombreux compagnons dans les Gaules, tandis qu’on le comprend sous l’empire de Claude.
Aussi Longueval et Tillemont abandonnent-ils Grégoire de Tours sur l’époque de cette mission, particulièrement pour Saint Trophime.

Le savant de Marca non seulement l’abandonne, mais le réfute.

Il en est de même quant à Saint Denys, premier évêque de Paris.

Grégoire de Tours le compte parmi les sept évêques envoyés de Rome sous l’empire de Dèce. Il ne cite aucune autorité pour cela, car les actes de Saint Saturnin de Toulouse ne parlent que de Saturnin, et nullement de Denys ni de Trophime. Au contraire, Fortunat, évêque de Poitiers et contemporain de Grégoire, dit expressément que Saint Denys, premier évêque de Paris, fut envoyé par le Pape Saint Clément ; il le dit, et dans l’ancienne vie de Sainte Geneviève, dont il a été reconnu l’auteur par de Marca, et dans une hymne composée en l’honneur de Saint Denys. Aussi le savant de Marca conclut-il pour la mission de Saint Denys par le Pape Saint Clément. Le docte Antoine Pagi tire la même conclusion et pour les mêmes raisons, auxquelles il en ajoute plusieurs autres. Comme Grégoire de Tours s’est trompé en plusieurs points des antiquités ecclésiastiques, »

Page 488 :

« son opinion particulière sur la mission de Saint Denys n’est d’aucun poids. Aussi, après lui, a-t-on continué de croire et de dire, avec son contemporain Fortunat, que Saint Denys a été envoyé par le Pape Saint Clément. On en voit la preuve dans un privilège du roi Thierri de 733, dans une charte du roi Pépin de 768, et dans les actes du concile de Paris de 825. Dans tous ces monuments, Saint Denys est dit formellement avoir été envoyé dans les Gaules par Saint Clément, successeur de Saint Pierre. A ces monuments, on peut joindre les anciens bréviaires de Paris, qui, jusqu’en 1700, disent ou supposent tous que Saint Denys a été envoyé par le Pape Saint Clément. François Pagi, réunissant les arguments d’Antoine Pagi et de Marca, fortifie la conclusion par des arguments nouveaux. Le célèbre Mabillon va plus loin. Non seulement il reconnaît comme indubitable la mission de Saint Denys par le Pape Saint Clément ; mais il ajoute que les arguments de ceux qui soutiennent que Saint Denys, premier évêque de Paris, est le même que Saint Denys l’Aréopagite, comme le disent les anciens bréviaires de Paris, ne sont point à mépriser.

D’après tout cela, nous regardons comme suffisamment prouvé :

1°) Que Saint Denys, premier évêque de Paris, a été envoyé dans les Gaules par le Pape Saint Clément ;

2°) Que Saint Trophime, premier évêque d’Arles, y a été envoyé avec plusieurs autres par Saint Pierre même ;

3°) Que les Saints Lazare, Marthe et Marie-Madeleine, avec saint Maximin, un des soixante-douze disciples, ont été les apôtres de la Provence, Saint Lazare, premier évêque de Marseille, et Saint Maximin, premier évêque d’Aix ;

4°) Que Sainte Marie-Madeleine, la pécheresse pénitente, et Marie, sœur de Lazare, sont une seule et même personne. Et nous souhaitons de tout notre cœur que, dans chaque église particulière, on fasse des travaux semblables sur leurs antiquités ».