Révélations privées et prudence

 

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De nos jours, les révélations privées sont très nombreuses, il est donc opportun d'indiquer comment discerner leur valeur respective. En effet, il y en a qui sont sérieuses et dignes de confiance; par contre, d'autres laissent planer des doutes sur leur authenticité, et certaines sont fausses d'une façon évidente.

par P.Ovila Melançon, c.s.c.

 

Il est certain que les révélations privées authentiques sont normalement très utiles. En effet, la grâce n'agit que pour notre bien et, quand elle est d'un ordre aussi extraordinaire, elle ne peut agir pour un bien qui soit médiocre.

De plus, il est une question qu'il est urgent et nécessaire de bien clarifier, c'est le degré de certitude que peuvent présenter les révélations privées. Presque toujours, les personnes qui les reçoivent et celles qui les lisent les, considèrent comme étant infaillibles, ou peu s'en faut, et c'est là une erreur fondamentale qu'il est nécessaire de corriger.

 

Cependant, s'il faut admettre que l'illusion est rare et difficile dans la contemplation infuse et même dans les extases, elle est facile dans les révélations privées. Néanmoins, il est très important de ne pas considérer les œuvres de Dieu comme étant des œuvres diaboliques. En effet, les révélations divines sont ordonnées au bien spirituel des âmes. Il ne faut pas mériter le reproche que l'Esprit-Saint fait aux impies, qui "blasphèment ce qu'ils ignorent" (2 P 2, 12).

Sans doute, il ne faut pas imiter l'imprudence de ceux qui admettent indistinctement tout ce qui peut être qualifié du nom de révélation. Néanmoins, on doit accorder une pieuse croyance à celles qui portent les caractères véritables de l'authenticité.

RÉVÉLATIONS PUBLIQUES
ET RÉVÉLATIONSPRIVÉES

Considérée d'une façon générale, la révélation divine est la manifestation surnaturelle par Dieu d'une vérité cachée. Quand cette manifestation se fait pour le bien de toute l'Église, c'est la révélation PUBLIQUE. Quand cette manifestation est faite pour l'utilité des personnes qui en sont favorisées ou pour un nombre plus ou moins restreint de fidèles, on l'appelle PRIVÉE.

Les révélations PUBLIQUES sont universelles; elles sont contenues dans l'Écriture Sainte ou dans la Tradition apostolique et elles sont transmises par le Magistère de l'Église. Elles ont pris fin avec la prédication des Apôtres et elles sont imposées à la foi de tous les hommes qui parviennent à les connaître. Depuis ce temps, il n'y eut jamais, il n'y aura plus de révélations publiques intéressant et obligeant le monde entier.

Quand aux révélations PRIVÉES, elles sont destinées à nous réveiller de notre somnolence spirituelle. Ces révélations sont comme les miracles : Dieu ne les accomplit pas sans un motif sérieux. Elles sont l'œuvre non seulement de sa puissance mais aussi de sa sagesse.

LES RÉVÉLATIONS ET LA MYSTIQUE

Les révélations privées sont des actes surnaturels et mystiques : il sera donc opportun de les bien situer dans le cadre de la mystique chrétienne.

On considère comme étant mystiques des actes ou des états surnaturels, qui dépassent totalement la possibilité de nos efforts, même aidés par la grâce actuelle ordinaire, pour l'opposer à la grâce extraordinaire, par laquelle Dieu agit en nous mais sans nous.

Plusieurs actes ou phénomènes surnaturels échappent toujours à nos efforts. Ainsi, même avec des efforts énergiques de volonté, on ne peut prophétiser, avoir une vision, une révélation, être dans un état de contemplation infuse. C'est ce que l'on appelle un acte ou un état mystique.

DEUX ESPÈCES DE GRÂCES MYSTIQUES

Il faut donc distinguer les grâces mystiques d'avec les grâces ordinaires. Mais il faut partager les grâces mystiques en deux groupes bien distincts, c'est-à-dire les grâces par lesquelles nous entrons en contact surnaturel avec DIEU lui-même, et les grâces qui nous font entrer en contact surnaturel avec des êtres créés.

La théologie mystique a des termes techniques pour exprimer ces deux espèces de grâces mystiques, c'est-à-dire les grâces "indéiques", qui concernent le contact surnaturel avec Dieu lui-même, et les grâces "exdéiques", relatives au contact surnaturel avec les êtres créés. Cette distinction est très peu connue, même chez les théologiens, mais elle est d'une suprême importance pour bien comprendre les différents aspects de la vie mystique.

Il est donc nécessaire de bien distinguer ces deux espèces de grâces mystiques, car l'estime qu'il faut en avoir est loin d'être la même. En effet, les grâces d'union à Dieu sont de loin les plus utiles et les plus sûres.

Au point de vue "sécurité", les grâces exdéiques, qui concernent les êtres créés, et notamment les révélations, sont sujettes à de nombreuses illusions. Notre activité propre peut se mêler à l'activité divine et la contrefaire. Ce premier inconvénient est la cause de plusieurs autres.

En effet, il arrive souvent que les révélations n'aient pas seulement pour but d'être utiles à l'âme du voyant. Elles poussent parfois à des activités extérieures, comme l'enseignement d'une doctrine, la propagation d'une dévotion, le fait de prophétiser, de lancer une entreprise exigeant des dépenses parfois considérables. Si ces impulsions venaient seulement de Dieu, il n'y aurait aucune crainte à développer. Mais le cas contraire est fréquent; alors on s'engage dans des voies périlleuses. C'est pourquoi les révélations comportent des dangers.

Par contre, il n'y a pratiquement rien à craindre des grâces indéiques, c'est-à-dire de l'union mystique avec Dieu, de la contemplation infuse. En effet, un état d'oraison, qui présente sérieusement l'ensemble des caractères de l'union mystique, vient de Dieu et il ne comporte que des avantages.

En conséquence, s'il faut beaucoup de prudence pour discerner les grâces exdéiques, comme les visions des créatures et les révélations, IL NE FAUT PAS REJETER LES GRÂCES INDÉIQUES, puisqu'elles constituent déjà une partie de l'union mystique, vers la perfection de laquelle il faut tendre.

RÉVÉLATIONS ET "INFAILLIBILITÉ"

Il faut reconnaître les bienfaits apportés par les révélations privées authentiques; néanmoins, il est absolument opportun, sinon nécessaire, de rappeler à plusieurs mystiques de notre temps la nécessité de la vertu de prudence.

Ils feront bien de vérifier davantage si la perception de leurs révélations est bien authentique, et ils ne devront pas s'en tenir trop facilement au sens littéral. Surtout, ils devraient ne jamais accorder à leurs révélations un critère d'infaillibilité! Il convient de se rappeler que seul le Pape jouit du charisme de l'infaillibilité, qui ne s'exerce d'ailleurs que très rarement et selon des conditions déterminées.

Même si les mystiques peuvent éprouver parfois un sentiment de très grande certitude, ils peuvent transmettre des erreurs graves, issues de leurs préjugés ou de leur ignorance de certaines vérités!... Le drame actuel de certains mystiques est de croire que toutes leurs révélations ont un caractère absolu. Ils ou elles "manipulent" l'infaillibilité "à jet continu"!...

Les mystiques doivent avoir l'humilité nécessaire pour admettre leurs limites...et parfois même leurs erreurs passées et présentes!...

Les auteurs spirituels soutiennent que l'illusion n'est pas à craindre dans l'union mystique comme telle, mais qu'elle est plus facile dans les révélations. Il faut se défier un peu des révélations, d'une façon générale du moins, car cette voie est exposée aux illusions de l'imagination et du démon. Incidemment, ajoutons que le verbe "se défier" signifie: "se fier mais avec précaution"!... Par ailleurs, même si la révélation paraît authentiquement surnaturelle, il faut se défier de l'INTERPRÉTATION que l'on en donne, par crainte d'y avoir mêlé des idées personnelles.

Comme le faux peut se mêler au vrai, les révélations ont besoin d'un sérieux examen, avant de recevoir un entier crédit. Elles ont la valeur du témoignage de la personne qui les rapporte. Or, cette personne n'est jamais infaillible; il est donc manifeste que ses attestations ne sont jamais absolument certaines, sauf le cas d'un miracle directement opéré en faveur de telles attestations.

RÉVÉLATIONS
ET MAGISTÈRE DE L'ÉGLISE

Le Magistère officiel de l'Église est prudent en ces matières. Sans doute, ce Magistère prend parfois sous sa protection certaines révélations privées, quand il les voit entourées de certaines conditions. Néanmoins, cette protection ne va jamais jusqu'à les imposer à la foi des fidèles.

L'approbation que leur donne le Magistère ne prétend pas nous dire autre chose sinon qu'elles sont PROBABLEMENT ET PIEUSEMENT CROYABLES. Pat cette approbation, l'Église entend seulement déclarer qu'elle n'y trouve rien de contraire à la foi et aux bonnes mœurs, et qu'on peut les lire sans danger et même avec édification. À ce sujet, c'est la directive que donnait le pape Benoît XIV, qui a traité avec précision de ce problème.

RÉVÉLATIONS ET CERTITUDE

On peut se demander à quel degré de certitude on peut arriver concernant les révélations privées, et s'il est possible qu'une révélation nous apparaisse comme étant purement divine. Ce degré de certitude peut concerner la personne qui reçoit les révélations ou les personnes qui les lisent pour s'en édifier.

Certains théologiens soutiennent que les personnes favorisées de révélations et les autres personnes auxquelles elles peuvent s'adresser, peuvent y croire d'une foi véritable, à la condition qu'elles aient des preuves certaines de leur authenticité.

Il est normal et inévitable que l'Église tarde à se prononcer officiellement sur l'authenticité des révélations privées, dans le sens indiqué précédemment, c'est-à-dire en autant qu'elles sont probables et pieusement croyables. En attendant ce long retard inévitable, et tout à fait conforme à la prudence, chacun peut se former une opinion personnelle, en se basant évidemment sur des critères sérieux. Sans doute, cela est vrai sur le plan théorique, mais en pratique quels doivent être ces critères "sérieux"?...

On peut avoir une preuve certaine qu'une révélation est divine, lorsqu'un miracle est opéré à cette intention bien déterminée ou que les circonstances le démontrent clairement. De plus, la réalisation d'une prophétie équivaudra à un miracle, si elle a été précise et que sa réalisation n'ait pu être l'effet du hasard ni d'une conjoncture du démon.

En dehors de ces circonstances exceptionnelles, le discernement d'une prophétie ne pourra aboutir qu'à une probabilité plus ou moins grande; agir autrement, c'est s'exposer à tomber dans l'illusion: ce qui malheureusement se vérifie parfois de nos jours!...

Sans doute, pour se permettre de lire, dans le but de s'en édifier, des révélations, IL N'EST PAS REQUIS D'AVOIR LA CERTITUDE QU'ELLES SONT DIVINES; il suffit qu'elles nous paraissent vraiment comme "probables et pieusement croyables", selon les directives du pape Benoît XIV.

RÉVÉLATIONS ET ERREURS

En marge des réflexions précédentes, il faut conclure que les révélations de saints même canonisés peuvent contenir des erreurs. L'hagiographie chrétienne nous en fournit de nombreux exemples. Et lorsque l'Église canonise un serviteur ou une servante de Dieu, ce ne sont pas ses révélations ou ses visions qu'elle canonise, mais ses vertus pratiquées jusqu'à l'héroïsme.

Des théologiens sérieux considèrent, par exemple, que les révélations de Marie d'Agreda contiennent des erreurs. De plus, elle considérait comme un péché de ne pas croire à ses révélations: voilà une erreur très importante. En effet, une révélation privée ne peut être imposée à la foi de l'ensemble des fidèles; l'Église ne peut en imposer d'autres que celles qui sont contenues dans l'Écriture Sainte et dans la Tradition. Cependant, malgré les erreurs décelées dans ses révélations, il est difficile de mettre en doute l'héroïcité de ses vertus. Sa vie donne l'impression d'une grande sainteté et d'une profonde union à Dieu.

 Certains mystiques considèrent qu'il ne faut point exiger d'autres preuves d'authenticité de leurs révélations que leur certitude personnelle. Parfois, ne pouvant vaincre autrement l'incrédulité des autres, ils prétendent recevoir d'autres révélations, qui menacent leurs opposants de malédictions divines. Il faut une profonde ignorance de la vraie mystique, pour ne tolérer aucune objection!...

RÉVÉLATIONS ET CAUSES D'ERREURS

1) Les fausses interprétations

Il existe plusieurs causes d'erreurs dans les révélations privées; l'une d'entre elles est la fausse interprétation par la personne qui la reçoit. Les voyants peuvent mêler l'activité humaine à l'activité surnaturelle. En effet, Dieu ne donne parfois qu'une demi intelligence des révélations, qui peuvent être sujettes à des conditions sous-entendues. Il faut donc parfois se défier du dans littéral. Malheureusement, il arrive souvent que des mystiques s'en tiennent au sens littéral de certaines révélations, que Dieu leur a transmises avec des expressions imagées.

On peut les interpréter faussement à cause de leur obscurité, comme on vient de le voir, mais aussi parce qu'elles contiennent parfois, sans que le voyant en prenne conscience, des conditions sous-entendues.

On peut donner comme exemple le cas de Jonas, qui avait reçu, par une révélation bien authentique, que la ville de Ninive serait détruite dans quarante jours. Mais les prophéties de menace, ou comminatoires, ne sont que CONDITIONNELLES, c'est-à-dire qu'elles dépendent de la réaction des personnes menacées. Ainsi, la conversion des Ninivites leur a évité la destruction de leur ville.

2) Les scènes historiques

Si le but des révélations est d'instruire le voyant ou d'autres personnes, leur interprétation demande beaucoup de prudence.

Lorsque les visions représentent des scènes historiques, comme par exemple celles de la vie ou de la mort de Notre-Seigneur, elles ne le font souvent que d'une manière approximative. On se trompe donc en leur attribuant une exactitude absolue.

Cette erreur est compréhensible, car il semble que, dans les visions divines, tous les détails devraient traduire la réalité d'autrefois, pour le paysage, les costumes, les paroles, les gestes, etc. Plusieurs saints ont pensé, en effet, que l'événement s'était passé de la façon dont il s'est déroulé devant eux.

Cependant Dieu ne trompe pas, quand il modifie certains détails. S'il s'astreignait à une exactitude absolue, il s'abaisserait au rang de professeur d'histoire ou d'archéologie. On chercherait dans les visions la satisfaction d'une vaine curiosité d'érudit; Dieu a un but plus noble, celui de développer la charité et de sanctifier les âmes.

Il en est de même pour les visions du ciel, du purgatoire et de l'enfer. Dieu ne fait voir qu'une part de la réalité, qui dépasserait trop notre intelligence. Il a recours à des symboles pour s'adapter à notre nature. Les saints et les anges apparaissent avec des corps que pourtant ils n'ont pas. Ils sont revêtus de riches costumes, prennent part à des processions ou cérémonies. Tout cela doit être compris d'une façon spirituelle.


3) Mélange des activités divine et humaine

Au cours d'une révélation, il est possible que l'esprit humain conserve le pouvoir de mêler, dans une certaine mesure, son action à l'action surnaturelle. En conséquence, on se trompe en attribuant seulement à Dieu les connaissances ainsi obtenues. La mémoire aussi peut apporter ses souvenirs et l'imagination sa puissance d'inventer. L'inconscient peut encore intervenir. Même une personne de bonne foi peut être trompée par une imagination ou un esprit trop vifs.

Les idées qui correspondent à nos désirs peuvent aussi influencer les révélations, surtout si nous entretenons le désir que tel projet ambitionné soit encouragé par une révélation. Nous aurons facilement l'impression que Dieu nous parle pour l'appuyer.

Nous serons aussi facilement portés à attribuer à l'influence divine des idées préconçues en matière de doctrine et d'histoire, ainsi que ce qui nous a vivement impressionnés dans nos lectures ou nos conversations.

Il est possible aussi que le démon produise de fausses révélations ou visions. Il peut aussi chercher à contrefaire l'extase, mais ces cas sont extrêmement rares.


4) Altérations involontaires

Il est possible qu'une révélation authentique soit modifiée, après coup et involontairement, par le voyant lui-même. Ce danger existe notamment pour les paroles intellectuelles. En effet, après leur réception, il faut les traduire par des mots; alors, on est exposé à modifier un peu le sens et surtout à lui donner une précision qu'elle n'avait pas.

On doit ajouter que si les révélations et visions sont nombreuses, cette circonstance prise en elle-même, ne constitue pas un signe défavorable. Autrement, ce serait condamner une foule de saints, qui ont eu une abondance prodigieuse de révélations. Cependant, un danger guette ces personnes, c'est celui de devenir négligentes à bien discerner leurs révélations.

5) Se croire à l'abri des illusions

Si quelqu'un se croit à l'abri des illusions, il est très exposé à en avoir. Il est comme une ville assiégée, qui ne se protège aucunement contre les ennemis qui la surveillent.

Marie d'Agreda n'éprouvait pas cette crainte; elle exigeait plutôt qu'on ne doutât aucunement de l'authenticité de ses révélations. Elle soutenait que Dieu lui avait dit: "Je ne veux pas qu'on regarde ces révélations comme des opinions, mais comme une vérité certaine". La Vierge Marie lui aurait donné la même assurance. Voilà malheureusement une attitude que l'on retrouve chez quelques-uns de nos mystiques actuels!...

6) Désirer des révélations

Le désir des révélations ouvre aussi la porte aux illusions. Ce désir fait justifier les révélations que l'on pense avoir reçues et il excite l'imagination à en inventer de nouvelles.

Sainte Monique faillit tomber dans l'illusion par un tel désir. Comme elle cherchait à convertir son fils et à le marier, elle voulait savoir par révélation le résultat de ses démarches: ce qui lui valut de fausses révélations. Mais comme elle en avait reçues déjà de véritables, elle constata que celles-là différaient des autres par "je ne sais quel goût, difficile à expliquer", disait-elle, et elle put rejeter ainsi les fausses révélations.

Il arrive souvent qu'on ignore ou qu'on oublie cette règle de prudence. Certaines personnes qui connaissent un voyant ou une voyante, sollicitent des révélations pour obtenir des réponses à leurs questions. Se telles consultations sont imprudentes et elles exposent à des réponses erronées, dues à l'imagination du voyant!...

7) Révélations et entreprises à réaliser

Les révélations peuvent pousser à réaliser une entreprise déterminée, comme établir une nouvelle dévotion, fonder une nouvelle congrégation religieuse, corriger le relâchement d'un certain nombre de personnes, bâtir un sanctuaire, créer une œuvre pour laquelle on n'a pas les ressources suffisantes, etc. C'est ici surtout que la prudence et même la défiance sont nécessaires.

Dans ces cas, il faut examiner si l'œuvre est bonne en soi et conforme à l'esprit de l'Église; utile, et d'une utilité qui justifie un moyen aussi exceptionnel qu'une révélation; opportune, c'est-à-dire voir si elle répond à un besoin nouveau, ou si elle ne nuit pas à une œuvre semblable, qu'il serait préférable de soutenir.

En somme, l'affaire doit être examinée à la sage lumière de la raison, soumise à des personnes prudentes et compétentes. Le seul rôle de la révélation aura été de suggérer une idée; elle est seulement l'occasion des décisions que l'on prend.

Une autre règle s'impose, c'est de manifester beaucoup de patience et de calme, lorsque les autorités empêchent de réaliser les entreprises, qui semblent avoir été inspirées par des révélations.

8) Révélations annonçant des châtiments

Au sujet des révélations annonçant des châtiments comminatoires, il est nécessaire d'apporter quelques précisions théologiques, qui sont très peu connues, même parmi les membres du clergé. Il est très important de savoir que ces révélations doivent toujours être considérées comme étant seulement CONDITIONNELLES.

Cela signifie que ces châtiments ne se réaliseront que s'il n'y a pas un nombre suffisant de pécheurs qui se convertissent, ou s'il n'y a pas un nombre suffisant d'âmes ferventes qui expient pour les pécheurs. Mais il convient de rappeler que, dans sa miséricorde infinie, Dieu n'exige pas un grand nombre d'âmes fidèles pour contrebalancer les péchés des hommes.

En effet, le livre de la Genèse nous apprend qu'un jour Dieu avait décidé de détruire les villes de Sodome et de Gomorrhe, à cause de la gravité de leurs péchés. Néanmoins, Abraham réussit à obtenir de Dieu que ces châtiments ne se produiraient pas, s'il y avait seulement DIX justes. (Gen 17, 20-32) Le prophète Jérémie nous apprend aussi que Dieu aurait été satisfait d'UN juste pour épargner toute la ville de Jérusalem de la destruction. (Jér 5,1)

En conséquence, les personnes ferventes dans l'Église, qu'il s'agisse de prêtres, de religieux, de religieuses ou de laïcs, doivent croire fermement qu'elles accomplissent, auprès de Dieu, une œuvre d'intercession beaucoup plus importante qu'elles ne le pensent.

Quant à la prophétie de Jonas, elle annonçait la vérité aux Ninivites, et Dieu ne s'est pas trompé et il n'a pas trompé. Les dispositions des Ninivites appelaient de soi une sévère punition de la part de Dieu, qui avait décidé de la décerner, s'ils ne s'amendaient pas. Que les Ninivites, effrayés par cette menace, se soient convertis, et que dès lors Dieu n'ait pas à les punir, cela ne change rien à l'oracle précédent.

Saint Vincent Ferrier nous offre un autre exemple de conditions sous-entendues dans les prophéties de menace. Il employa les vingt et une dernières années de sa vie (1398-1419) à annoncer que la fin du monde était prochaine.

Il l'avait apprise par une vision très claire, énoncée sans conditions, dont il prouvait la vérité en semant partout les miracles. Cependant cette prophétie, si bien appuyée, ne s'est pas réalisée. On explique ce fait en disant qu'elle était conditionnelle.

L'époque du grand schisme d'Occident méritait sans doute comme châtiment la fin du monde. Mais ce malheur a été évité par les conversions en masse que les menaces du Saint et ses miracles produisirent dans toute l'Europe.

Voilà deux cas de prophéties comminatoires authentiques, mais les fausses abondent, surtout aux époques de grands troubles religieux et politiques, parce qu'alors les imaginations sont surexcitées; c'est pourquoi il ne faut pas trop facilement verser dans la crédulité.

Ainsi, au XIIIe siècle, saint Bonaventure se plaignait d'entendre "à satiété" des prophéties sur les malheurs de l'Église et sur la fin du monde. A la fin du XIVe siècle et au début du XVe, les voyants surgissaient de partout.

Au début du XVIe siècle, il y eut en Italie une véritable épidémie de prophéties politico-religieuses.

Cette effervescence avait eu pour point de départ les prédictions faites à Florence par Savonarole. Des religieux, des ermites, se répandaient de tous côtés et, commentant l'Apocalypse, annonçaient en chaire ou sur les places publiques des révolutions dans le gouvernement temporel ou spirituel, et ensuite la fin du monde. Dans le Ve concile de Latran, en 1516, le pape Léon X fut obligé de publier une Bulle pour interdire les prophéties publiques des prédicateurs.

Le XXe siècle ne le cède en rien aux siècles précédents. De temps en temps, nous entendons des voyants annoncer des malheurs pour notre monde. Certains de ces personnages peuvent être sérieux, mais après avoir vérifié l'authenticité de leurs révélations, en autant qu'il est possible de le faire, il faut ensuite les considérer comme étant seulement "conditionnelles"...

De plus, les révélations, en général, doivent être soumises à l'épreuve du temps. Autrement, les discernements favorables n'offrent pas des garanties vraiment sérieuses. Il est aussi nécessaire, pour les voyants, de tout soumettre à leur directeur de conscience, mais ce dernier doit avoir les connaissances théologiques requises en plus de la prudence. Sinon il favorisera les illusions plutôt que d'aider à les éviter!...

9) Autres conditions

L'une des conditions de l'authenticité d'une révélation est sa pleine conformité avec les dogmes et les enseignements communs de l'Église, et aussi avec les données certaines des sciences et de l'histoire.

Il suffit qu'un seul dogme soit contredit pour conclure que telle révélation ne vient pas de Dieu. Par contre, si une révélation ne contient pas d'erreur, on ne peut alors rien conclure. L'esprit humain peut demeurer dans les limites de la vérité, et aussi le démon, du moins pour un temps, dans le but d'inspirer confiance. La révélation ne doit contenir aucune action qui blesse la décence et les bonnes mœurs.

Certains théologiens considèrent comme suspecte la connaissance surnaturelle des vices et des péchés d'autrui, sous prétexte qu'on peut manquer ainsi à la charité. Néanmoins, il faut reconnaître que certains saints peuvent pénétrer, par charisme, les secrets des cœurs, et par là aider les âmes à se convertir.

Les enseignements des révélations doivent être utiles pour le salut des âmes. Si les révélations n'ont aucune utilité pour le bien des âmes, il est certain qu'elles ne sont pas divines. Dieu ne peut recourir à un moyen aussi exceptionnel pour des fins de curiosité. Les révélations n'ont pas lieu sans un motif très sérieux. Elles sont l'action de la puissance de Dieu, sans doute, mais aussi de sa sagesse.

Il faut considérer comme suspecte une révélation destinée à trancher une question disputée en théologie ou en d'autres sciences. Dieu laisse ces discussions à l'esprit humain, parce qu'elles ne sont pas destinées à la sanctification des âmes, qui est la chose qui ait vraiment de l'importance pour Dieu. Saint Jean de la Croix soutient que, pour le reste, "son intention est que les hommes aient recours aux moyens humains". (Montée du carmel, 1.II, ch.XXII)

Tous les détails qui accompagnent une vision, attitudes, gestes, paroles, etc. doivent être conformes à la dignité et au sérieux qui conviennent à la Majesté divine. Quand les anges ou les saints se manifestent en prenant un corps apparent, jamais ce corps ne renferme de membres difformes ou d'aspect bestial; ce serait indigne d'eux.

LES INFLUENCES SUR LE DIRECTEUR

L'un des pièges que peut rencontrer un directeur, c'est de se laisser dominer. Ce qui est suspect, dans le cas présent, ce n'est pas l'aide réciproque que l'on peut se donner par la prière et par l'action; plusieurs saints ont eu recours à une collaboration. On peut citer, comme exemples, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d'Avila, saint François d'Assise et sainte Claire.

À ce sujet, on peut rappeler avec quelle facilité déplorable madame Guyon réussit à influencer le père Lacombe et Fénelon, qui devinrent moins ses directeurs que ses associés et même ses disciples. Il convient de signaler que Fénelon fut un ecclésiastique brillant; il devint même archevêque de Cambrai. Mais cette pénible histoire de l'influence d'une femme, qu'on a qualifiée de "demi-sainte et demi-folle", est une leçon de prudence pour quiconque croirait pouvoir se confier aveuglement à une "mystique" et se laisser guider entièrement par ses révélations!...

L'UNION MYSTIQUE  ET LES RÉVÉLATIONS

Au point de vue de la sanctification, les grâces d'union mystique avec Dieu sont beaucoup plus importantes que les révélations et les visions. Un état d'oraison, qui présente sérieusement les caractères de l'état mystique, vient certainement de Dieu et il ne peut être qu'avantageux.

Si l'on maintient parfaitement la distinction entre l'union mystique avec Dieu et les faits extraordinaires qui peuvent l'accompagner, il faut admettre qu'il n'y a aucun danger. En effet, si le démon peut tromper par de prétendues révélations ou visions, il ne peut produire l'union mystique, ni la comprendre, car les anges bons ou mauvais ne peuvent agir directement sur notre intelligence et sur notre volonté.

Les caractères de l'union mystique et de la contemplation infuse véritable sont d'ailleurs bien décrits dans les auteurs ascétiques et mystiques, et ni notre imagination, ni notre esprit, ni même le démon ne peuvent reproduire l'ensemble de ces caractères.